Encéphalite à tiques : renforcer la surveillance pour améliorer la prévention de la maladie
L’encéphalite à tiques est une maladie causée par un virus transmis par certaines tiques. Elle suscite une préoccupation croissante en France. Depuis 2020, des cas liés à la consommation de produits au lait cru, un mode de transmission jusque-là non observé dans l’Hexagone, ont été signalés. Cette situation s’accompagne d’une extension géographique de la présence du virus et d’une augmentation du nombre de cas en Europe, toutes voies de transmission confondues. Bien que les infections restent à ce jour peu nombreuses en France, les conséquences sur la santé peuvent être graves et entraîner des séquelles à long terme. Ceci a conduit l’Anses à se saisir du sujet pour faire le point sur les connaissances sur le virus, les risques de transmission et réfléchir aux mesures de gestion du risque qui pourraient être mises en place.
Une maladie rare aux conséquences parfois graves
En France, environ une trentaine de cas d’encéphalite à tiques sont enregistrés chaque année. Bien que relativement rares, les impacts sanitaires de la maladie peuvent être importants. « 10 à 30 % des personnes infectées développent des symptômes, généralement pseudo-grippaux. Parmi les personnes symptomatiques, 20 à 40 % présentent des signes neurologiques de type méningite, qui peuvent entraîner des séquelles à long terme et une perte d’autonomie. » explique Elsa Quillery, co-coordinatrice de l’expertise.
Au-delà des conséquences sanitaires, la maladie a aussi un impact économique non négligeable. L’Anses a estimé, dans le cadre de son expertise, que le coût annuel actuel de la maladie s’élève à 3 millions d’euros en France. Cette estimation inclut la prise en charge de la maladie, la perte de revenu et de temps pour les activités non rémunérées ou la diminution de la qualité de vie en cas de séquelles invalidantes.
Une extension géographique préoccupante
Plusieurs éléments font craindre une augmentation du risque de transmission du virus de l’encéphalite à tiques en France. En 2020, un premier foyer d’infections lié à la consommation de fromages au lait cru a été identifié, dans un département où la circulation du virus n’était pas connue. Il s’agit d’une voie de transmission jusque-là non rapportée en France, le virus se transmettant principalement par des piqûres de tiques infectées du genre Ixodes. Par ailleurs, le virus étend sa zone de circulation, avec des cas signalés en dehors de l’Alsace, région historiquement concernée. Enfin, le nombre de cas est en augmentation dans plusieurs pays d’Europe, incluant la France.
L’expertise menée par l’Anses a identifié des catégories de personnes plus à risques d’être contaminées du fait de leur exposition plus fréquente aux piqûres de tiques, comme les éleveurs et les forestiers. Ces derniers ont 13 fois plus de risque d’être infectés que la population générale.
La piqûre d’animaux producteurs de lait par des tiques porteuses du virus peut contaminer leur lait. Le lait cru et les produits laitiers à base de lait cru de chèvre semblent présenter plus de risque de transmission que les produits laitiers issus d’autres animaux. Ils sont à l’origine de la majorité des cas de transmission par voie alimentaire en Europe. La région Auvergne-Rhône-Alpes est la plus concernée par ce risque, en raison de la circulation avérée du virus et du nombre élevé d’élevage de chèvres ayant un accès fréquent à l’extérieur.
Renforcer la surveillance de l’encéphalite à tiques pour améliorer la prévention
La première mesure pour lutter contre l’encéphalite à tiques consiste à améliorer la surveillance du virus, afin de mieux connaître les zones ou les élevages infectés et déployer dans ces zones les mesures de prévention adaptées. À l’heure actuelle, cette surveillance repose essentiellement sur l’identification de cas humains d’encéphalite à tiques. Néanmoins, ils constituent des indicateurs tardifs de la présence du virus dans un territoire. L’Anses recommande d’intégrer à la stratégie de surveillance de l’encéphalite à tiques des espèces animales sentinelles domestiques et sauvages, comme les chèvres, les vaches et les chevreuils, et de surveiller les produits laitiers et les tiques elles-mêmes.
L’Anses recommande par ailleurs de mettre en place des mesures visant à éviter les transmissions dans les zones concernées, en concertation avec les acteurs impliqués notamment les éleveurs. Pour éviter la contamination du lait, il est envisageable de limiter l’exposition aux tiques des ruminants, notamment les chèvres produisant du lait, par exemple grâce à l’installation de clôtures empêchant les contacts avec les zones les plus favorables à la présence de tiques, comme les zones boisées ou les haies, ou par la rotation des pâtures. Ces actions peuvent être complétées par la pasteurisation du lait dans les situations d’urgence : survenue de cas humains dus à une transmission alimentaire ou détection du virus infectieux dans le lait collecté.
Pour éviter la transmission du virus aux humains par piqûre de tique, il est recommandé de porter des vêtements longs dans la nature, notamment en forêt. Toute personne le souhaitant peut se faire vacciner contre le virus, ce qui pourrait être particulièrement pertinent pour les personnes les plus exposées comme les travailleurs forestiers, les éleveurs et les personnes pratiquant des activités de loisir en forêt. Enfin, l’Agence recommande de mieux informer la population générale, les travailleurs exposés et les professionnels de santé sur les risques et les symptômes de cette maladie encore peu connue.
Des causes multiples qui restent à élucider
Les déterminants à l’origine de l’expansion géographique du virus de l’encéphalite à tiques restent mal connus et sont probablement multiples. Les tiques du genre Ixodes qui véhiculent le virus sont déjà présentes dans toute la France hexagonale, sauf le pourtour méditerranéen. Plusieurs hypothèses sont avancées, comme la fragmentation du paysage, qui entraîne plus de contacts des animaux domestiques et des humains avec les tiques et la fréquentation accrue des forêts par la population générale. En revanche, le dérèglement climatique ne semble pas jouer un rôle prépondérant.
« De nombreuses interrogations demeurent sur les mécanismes de circulation et de transmission du virus, conclut Elsa Quillery. Pour mieux identifier les zones et les situations à risque, des recherches doivent être menées sur différents aspects, comme les souches circulant en France, les facteurs de risque de transmission ou l’impact des composants du lait et des procédés de transformation du lait sur la persistance de virus infectieux dans les produits laitiers. Par ailleurs, les outils de détection du virus de l’encéphalite à tiques doivent être améliorés pour pouvoir mieux le détecter chez l’être humain, les animaux et dans les produits laitiers. »
Des recherches pour mieux comprendre et surveiller l’encéphalite à tiques
Plusieurs laboratoires de l’Anses mènent des recherches pour mieux connaître et détecter le virus de l’encéphalite à tiques :
- L’unité mixte de recherche Bipar, au sein du Laboratoire de santé animale, étudie l’infection des tiques par le virus et l’effet de la co-infection des tiques par d’autres microorganismes pathogènes transmissibles à l’être humain,
- Dans le même laboratoire, l’unité mixte de recherche Virologie s’intéresse d’une part à la prévalence du virus de l’encéphalite à tiques chez les animaux et d’autres part aux mécanismes cellulaires et moléculaires qui expliquent comment le virus peut affecter le système nerveux et se transmettre par l'alimentation ou les piqûres de tiques. Elle étudie également comment le virus et la tique cohabitent sans que celle-ci présente de symptôme. Enfin, des travaux sont menés sur les effets des composants du lait, des procédés technologiques, comme la pasteurisation et des technologies de production du fromage sur la persistance du virus infectieux dans les produits laitiers.
- L’unité Virus entériques du Laboratoire de sécurité des aliments développe des méthodes pour détecter le virus dans les produits laitiers et analyse les aliments suspectés d’être à l’origine de cas d’encéphalite à tiques.
- Le Laboratoire de la rage et de la faune sauvage de Nancy étudie l’épidémiologie du virus en France, sa transmission entre les rongeurs et les tiques, sa distribution géographique et l’exposition des ruminants au virus de l’encéphalite à tiques, ainsi que les facteurs climatiques et environnementaux qui influencent cette exposition.
