« Protéger la rémunération des agriculteurs » : le Sénat a adopté avec modifications la proposition de loi
La proposition de loi transmise au Sénat
Grégory Besson-Moreau et plusieurs de ses collègues députés, estimant que « pour rééquilibrer les relations commerciales entre les différents maillons de la chaine alimentaire et agro‑alimentaire (…) Il est temps de mettre plus d’authenticité dans la définition d’un prix juste et éthique entre le monde agricole, l’industrie agro‑alimentaire et les acteurs de la grande distribution (GMS) », ont déposé, le 4 mai 2021, une proposition de loi.
Leur proposition, modifiée par l’Assemblée nationale et transmise le 25 juin 2021 au Sénat, tend à renforcer la construction du prix « en marche avant », c'est-à-dire de l'amont vers l'aval, en garantissant que les matières premières agricoles ne fassent pas l'objet de négociations aux différents stades de la chaîne de production (partant du principe que quand elles sont négociées, c'est à la fin l'agriculteur qui écrase ses prix et ses marges).
Elle vise notamment à :
- généraliser le fait de recourir à un contrat écrit lorsqu'un producteur agricole (éleveur laitier, de bovin, etc.) vend un produit à un acheteur agricole, afin de prendre en compte, pour la détermination du prix dans le contrat, différents indicateurs de référence dont celui de coût de production. En outre, le contrat contiendrait désormais une clause de révision automatique des prix, qui permettrait par exemple à l'agriculteur de répercuter les hausses de coûts qu'il affronte, auprès de l'aval ;
- réglementer différemment les négociations commerciales entre l'industriel et la grande distribution. Pour ce faire, il est prévu que l'industriel affiche dans ses conditions générales de vente la part que les matières premières agricoles représentent dans le volume du produit alimentaire et dans son tarif. Différentes options s'ouvrent à lui pour afficher cette part. Il est prévu également que cette part ne soit pas négociable lors de la négociation commerciale afin de « sanctuariser » la matière première agricole.
Les modifications en commission des affaires économiques (15 septembre 2021)
Sur le rapport de Anne-Catherine Loisier, la commission des affaires économiques a complété le texte pour en simplifier le fonctionnement, rééquilibrer le rapport de force dans les négociations commerciales et en améliorer l’efficacité au profit des agriculteurs. Elle a adopté des amendements afin notamment de :
- clarifier la possibilité pour le pouvoir règlementaire d’exonérer certains petits producteurs agricoles de la contractualisation écrite rendue obligatoire (COM-128 de la rapporteure – art. 1er) ;
- empêcher la double peine pour un producteur en cas de non-respect des volumes contractuels en raison d’aléas climatiques (COM-148 – art. 1er) ;
- préciser et encadrer l’élaboration et la publication des indicateurs de référence par les instituts techniques agricoles et leurs modalités d’intervention (COM-130 de la rapporteure, COM-17 rect. bis, COM-24 rect. sexties, COM-49 rect. ter, COM-73 rect. ter, COM-98 rect. bis, COM–30 rect. septies - art. 1er) ;
- préciser que le décret autorisant à titre dérogatoire à soustraire des produits ou catégories de produits agricoles à la contractualisation écrite obligatoire doit faire l’objet, au préalable, d’un avis des interprofessions compétentes et que cet avis soit rendu public (COM-133 de la rapporteure – art. 1er) ;
- encadrer la pratique de renégociation du prix en fonction de l’environnement, que la clause ait été inscrite au contrat ou non (COM-12 rect., COM-18 rect., COM-25 rect. sexties, COM-50 rect. bis, COM-67, COM-74 rect. bis, COM-99 rect., COM-121 - Art. 1er) ;
- prévoir des sanctions en cas de non utilisation d'un tunnel de prix dans les secteurs pour lesquels un décret aura imposé l'utilisation d'une telle clause à titre expérimental (COM-40 rect., COM-84 rect. bis, COM-107, portant création d’un Art. 1er bis) ;
- circonscrire aux seuls indicateurs relatifs aux coûts de production, et sous réserve qu’ils aient été rendus publics, l’obligation incombant à l’Observatoire de la formation des prix et des marges, consistant en la publication trimestrielle d’un support synthétique reprenant l’ensemble des indicateurs (COM-135 de la rapporteure, portant création d’un Art. 1er ter) ;
- simplifier le mécanisme de transparence créé concernant la part des matières premières agricoles dans le tarif du fournisseur (COM-136 de la rapporteure, COM-147, COM-146 -– Art. 2) ;
- créer un régime d’encadrement des produits alimentaires vendus sous marque de distributeur (COM-138 de la rapporteure, portant création d’un Art.2 bis B ) ;
- donner force de loi aux recommandations de la commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) acceptées par les distributeurs mais non appliquées, et les encadrer strictement autour de 4 principes (COM-41 rect., portant création d’un Art. 2 bis C) :
- encadrement du taux de service pour retenir un taux avec une marge d’erreur suffisante :
- proportionnalité des pénalités au préjudice subi ;
- interdiction des pénalités dans des cas de force majeure ou de situations indépendantes de la volonté des parties ;
- réciprocité ;
- étendre le principe de non-discrimination à l’ensemble des produits alimentaires (COM-139 de la rapporteure, COM-37 rect. bis, COM-89 rect. ter, COM-60 rect., portant création d’un article 2 bis D) ;
- dresser un bilan des effets du relèvement du seuil de revente à perte pour les produits alimentaires, introduit par la loi Egalim, en matière de surcroît de rémunération pour les producteurs agricoles (COM-140 de la rapporteure, portant création d’un article 2 bis E) ;
- mieux lutter contre les affichages manifestement trompeurs, en obligeant le Gouvernement à rendre annuellement compte au Parlement de ses actions en la matière dans un rapport public et en affichant, dans un rapport public annuel, les noms des entreprises et les pratiques estimées comme trompeuses par les autorités de contrôle, afin que les consommateurs en prennent connaissance (COM-142 de la rapporteure, portant création d’un article 3 bis) ;
- renforcer dans la loi française, en conformité avec le droit européen, la régulation de l’étiquetage de l’origine, en inscrivant clairement l’affichage obligatoire de l’origine de l’ingrédient primaire d’une denrée alimentaire, si l’origine de la denrée est différente (COM-143 de la rapporteure, Art. 4).
L’examen en séance publique (21 et 22 septembre 2021)
Au cours de cet examen, le Sénat a simplifié, rééquilibré et élargi le texte initial pour améliorer la rémunération des agriculteurs en s’assurant qu’ils ne soient pas les victimes collatérales des négociations entre industriels et distributeurs. Le Sénat a notamment fortement renforcé l’affichage de l’origine de certains produits comme le cacao, le miel, le vin et la bière.