- Par Delphine Daniel
La ronce, des épines mais pas que
La ronce Rubes fructosus est redoutée pour ses fourrés touffus, épineux et envahissants. Elle est recherchée pour ses fruits délicieux, signe que l’été se termine. Ne vous fiez pas à ses épines, tous nos herbivores consomment ses fruits. Même les bovins et leur grosse langue, savent les cueillir avec douceur et délicatesse visiblement sans se griffer.
Si l’ingestion des fruits ne pose pas de questions, la consommation de feuilles reste un mystère plus épais. La feuille possède des épines ligneuses qui les rendent rêches au toucher et délicates à mâcher. Son goût, presque sucré en sortie de bourgeon, devient de plus en plus amer au fur et à mesure que la saison avance, pour devenir très astringente en fin d’automne : la feuille mâchée laisse un film poudreux désagréable qui râpe sur la langue et le palais. Bizarrement c’est la période où l’on constatera le maximum de ruminants mangeant des feuilles de ronce. A noter que les tiges sont assez peu consommées, ce qui laisse au buisson de ronce tout son aspect envahissant. Vous pourrez prétendre que les animaux consomment les feuilles de ronce parce qu’il n’y a rien d’autre à manger à cette saison. Pourtant, en regardant les autres feuilles disponibles, celles de la ronce sont mangées alors que d’autres feuilles pourtant bien plus tendres et appétissantes ne sont pas touchées.
Pourquoi, alors, manger ces feuilles, quand le goût et la récolte sont si peu attractifs ?
Un peu d’histoire
L’usage des fruits et des feuilles par l’homme est très ancien. Des signes de consommations de fruits ont été retrouvés dans des habitats paléolithiques.
L’antiquité est riche de mentions à ce végétal. Des textes latins décrivent l’usage des feuilles comme boisson (thé de feuilles fermentées) et des fruits comme desserts cuisinés. Son nom de genre (rubes) vient de cette époque : rumecis (rumex) signifie dard et lui est donné en raison de ses épines acérées. Chez les Grecs, la ronce est associée au sang des titans à la fois pour son caractère piquant et pour la couleur rouge violette de ses fruits. Au niveau médicinal, une utilisation médicinale est déjà décrite : Pline l’ancien le préconise pour ses vertus astringentes et anti-inflammatoires digestives.
Au moyen-âge, sa réputation est en souffrance. En effet, on lui associe le péché d’envie associé à sa capacité à s’accrocher aux vêtements et à la peau. C’est pourquoi son utilisation médicinale change : Hildegarde de Bingen la préconise pour soigner les hémorragies du fondement, des traités de médecine médiévale l’utilisent sur les plaies fistuleuses et sur les morsures de serpents.
Aujourd’hui considérées comme un médicament reconnu par l’usage, les feuilles sont enregistrées dans la pharmacopée européenne pour le traitement des diarrhées et des maladies de la bouche.
Quelques notions de phytochimie
Ce qui en fait son intérêt est sa richesse en tanins hydrolysables (de 8 à 14 % des feuilles). La concentration en tanins dépend de la saison principalement. Les jeunes feuilles en sont pauvres, la teneur augmente en cours d’été, elle est maximale en automne. Les tanins sont utilisés principalement pour leurs propriétés antidiarrhéiques, vermifuges (pour une ration vermifuge, la teneur en tanin doit être supérieure à 3 %). Ils ont également un effet sur les vaisseaux sanguins -vasoconstriction-. Utilisés par voie locale, ils sont astringents donc désinfectants, par précipitation des protéines de surface des bactéries, et cicatrisants.
Les feuilles de ronce contiennent également des acides triterpéniques réputés pour leurs effets sur le métabolisme des sucres et leur action anti-inflammatoire, anti-douleur. Les triterpènes sont synthétisés par la feuille en cas d’agression (fongique, attaque par des herbivores de toute taille : pucerons, chenilles, foreuses…). La récolte de feuilles abimées est donc préférable aux belles feuilles saines. On y trouve également des flavonoïdes et des acides organiques (citriques et isocitriques) qui sont d’excellents antioxydants, ainsi que des vitamines dont la vitamine C qui aide à lutter contre les coups de chaleur.
L’association triterpéne (anti-inflammatoire, antidouleur), tanin (désinfection, cicatrisation) explique l’utilisation traditionnelle des feuilles de ronces dans les troubles de la bouche (aphte, gingivite, angines…).
Retour au bétail
L’intérêt des ronces dans un pâturage est donc multiple. Son premier intérêt est biologique ; les épines et l’enchevêtrement des ronces permet la pousse des arbres de haies. Elle empêche la consommation des troncs par les lapins, les chevreuils, les brebis… jusqu’à ce que l’écorce soit suffisamment épaisse pour résister par elle-même. C’est donc un moyen efficace et économique de restaurer une haie. Laisser évoluer un taillis de ronce pendant 4 ans permet d’obtenir des arbres naturellement replantés à son pied. Il s’agit simplement de contenir le taillis pour éviter l’envahissement. Son second est médicinal. En effet, si on peut exclure la consommation plaisir des feuilles (mais pas des fruits), l’effet sur les troubles digestifs peut expliquer l’ingestion en fin d’été. En règle générale, on ne considère pas la ronce comme un vermifuge efficace mais plutôt comme un indicateur de parasitisme. En cas d’intérêt rapide et massif pour les feuilles, souvent couplé à du grattage de taupinières (ingestion d’argiles) : une analyse est souhaitable, voire un traitement si d’autres symptômes de parasitisme sont constatés. C’est donc un excellent moyen de surveillance d’un troupeau compétent (on rappellera que pour constater ce genre de pratiques, la naissance sur site, la rusticité du cheptel et la mise à disposition fréquente sont des paramètres indispensables).
Astuce
Recette contre les aphtes et les gingivites
Pour 1/2 litre d’eau, cueillir 1 dizaines de groupe de feuilles (20 g) les plus foncées possible (la présence de trou ou de traces dans la feuille est un signe de qualité) et 5-6 brins de thym.
Mettre dans l’eau froide et faire bouillir avec un couvercle pendant 5 min, laisser refroidir et filtrer.
Utiliser en bain de bouche après chaque brossage de dents jusqu’à 3 fois par jour (recracher la solution après le bain de bouche ou votre ventre risque de vous le reprocher).
Additionner de miel et d’1 cm de racine de plantain lancéolé vous pouvez en faire des gargarismes pour aider au traitement de l’angine et des pertes de voix.