- Par Christelle Dubois-Frapsauce
Les clostridioses chez les ovins
Le terme de clostridiose regroupe des pathologies provoquéespar des bactéries du genre Clostridium.
Ces bactéries sont dites anaérobies : elles ne peuvent se multiplier qu’en l’absence d’oxygène. On rencontre ces bactéries dans l’environnement (sol, boues, eau, poussières, fumier, à la surface des végétaux). Elles y persistent très longtemps sous forme de spores (formes de résistance très performantes).
Les animaux sains (et l’homme) en hébergent en permanence dans leur tube digestif et contaminent leur environnement par l’intermédiaire de leurs excréments.
Les clostridies pathogènes produisent des toxines très puissantes qui sont responsables des différents signes cliniques et souvent de la mort des malades.
Les voies d’entrée de ces bactéries dans l’organisme sont le tube digestif, la peau lésée ou les muqueuses.
On peut classer les clostridioses en trois catégories : les gangrènes gazeuses, les paralysies et les entérotoxémies.
Les gangrènes gazeuses
Il s’agit de l’œdème malin (grosse tête) et du charbon symptomatique.
Ce sont des complications infectieuses de la contamination de plaies par des clostridies. Ces plaies peuvent être accidentelles (piqûres par des végétaux épineux, des insectes, combats entre béliers), chirurgicales (castration, caudectomie, injection de médicament) ou survenir pendant la mise-bas.
Plusieurs agents pathogènes peuvent intervenir, parfois en association : Clostridium septicum, Clostridium chauvoei, Clostridium novyi, Clostridium sordellii et Clostridium perfringens.
Les signes se développent en un à quatre jours après la contamination de la plaie. Localement, une tuméfaction (ou œdème) douloureuse apparait, parfois crépitante au toucher (présence de gaz). Elle s’étend en partie déclive. A l’excision s’écoule un exsudat sanguinolent. Cette tuméfaction peut se localiser sur l’ensemble de la tête et aux muscles du cou, au niveau du périnée, sur un membre, en fonction de lieu d’entrée de la bactérie. La peau au voisinage devient rouge sombre.
Les animaux malades sont prostrés et peuvent présenter une hyperthermie importante (41/42°C). La mort est fréquente en un à huit jours.
Un traitement antibiotique par voie générale et une désinfection locale sont préconisés en début d’évolution mais ne permettent pas toujours de sauver l’animal.
La prévention consiste en premier lieu à pratiquer toute intervention chirurgicale ou zootechnique avec du matériel désinfecté et dans des conditions les plus propres possibles. Il faut également désinfecter toute plaie dès qu’elle est repérée. On peut également vacciner les animaux avec un vaccin anticlostridien multivalent.
Ces maladies sont rares dans les élevages présentant un niveau d’hygiène satisfaisant.
Les paralysies
On distingue deux entités : le tétanos et le botulisme.
Le botulisme
se manifeste par une paralysie flasque due à l’ingestion de toxine botulinique produite par Clostridium botulinum. Cette toxine est retrouvée dans les tissus animaux en décomposition. Le risque pour les ruminants peut se présenter lors de pica (ingestion de cadavre) provoqué par une carence en phosphore, lors de présence de cadavre dans les ensilages ou lors de consommation d’eau de boisson contaminée par la toxine.
Le tétanos
se manifeste par une paralysie spastique. Cette paralysie résulte de la propagation dans l’organisme de la toxine produite par Clostridium tetani.
La spore de Clostridium tetani ne se développe que dans des tissus où l’absence d’oxygène est marquée : plaie fine et profonde (piqûre) ou tissus nécrosés (plaie résultant de la pose d’élastique de caudectomie, plaies résultant de l’agnelage).
La toxine migre le long du système nerveux et inhibe le fonctionnement des neurones qui permettent de lever une contraction musculaire. Les muscles sont stimulés en permanence. Les signes qui apparaissent après une à plusieurs semaines sont donc des contractures avec une raideur de l’encolure, une rigidité des oreilles, des difficultés de préhension des aliments et de mastication, une raideur très marquée des membres (ils sont difficilement mobilisables). On observe une position caractéristique dite en opistothonos (tête rejetée en arrière, membres tendu). De plus, l’animal est inquiet et toute stimulation déclenche des contractions.
Le taux de mortalité peut atteindre 80%.
Le traitement est très souvent décevant.
La prévention passe d’abord par l’antisepsie des plaies de caudectomie. On peut également lors de caudectomie ou de castration administrer un sérum antitétanique qui protègera immédiatement l’animal et pendant une quinzaine de jours. Enfin, si on souhaite protéger les brebis et les agneaux dès la naissance, il faut vacciner les mères en fin de gestation. Les agneaux recevront une immunité passive par l’intermédiaire du colostrum.
Les entérotoxémies
Elles résultent de l’atteinte de différents tissus par des toxines produites par des clostridies en grande quantité dans le tube digestif et passées dans la circulation sanguine. La clostridie principalement mise en cause est Clostridium perfringens de type A, B, C ou D (type de toxines produites).
Ces bactéries sont présentes en permanence dans l’intestin. C’est lors de leur multiplication anarchique suite à un déséquilibre de la flore microbienne intestinale que surviennent les signes cliniques. Différents facteurs « stressants » peuvent provoquer ce déséquilibre : une variation brutale du régime alimentaire en quantité ou en qualité (lait abondant et riche, nouveau concentré ou fourrage, ingestion massive de glucides rapidement fermentescibles, herbe riche en azote), consommation d’herbe gelée, un parasitisme digestif important.
Les principaux signes sont une putréfaction rapide du cadavre des animaux retrouvés morts brutalement, des signes nerveux dans les formes plus lentes.
Différentes entités peuvent être rencontrées : la dysenterie de l’agneau, l’entérite hémorragique nécrosante de l’agneau, la maladie du rein pulpeux, l’entérotoxémie du mouton adulte.
La dysenterie de l’agneau se rencontre sur des animaux de 1 à 3 jours jusqu’à 2/3 semaines. Ils présentent une anorexie, des douleurs abdominales et une diarrhée jaune parfois sanguinolente. La mort survient très rapidement.
L’entérite hémorragique nécrosante de l’agneau survient surtout chez les nouveaux - nés. Les signes sont très proches des précédents.
La maladie du rein pulpeux peut survenir à tout âge mais est plus fréquente chez des agneaux de moins de deux semaines en allaitement dont le lait de la mère est très riche ou chez des agneaux à l’engraissement avec une forte consommation de concentrés et une croissance rapide. On constate des mortalités brutales sur les plus beaux sujets ou des signes nerveux (démarche incertaine ou en cercle, convulsions) associés à un œdème du poumon (une mousse blanche sort des narines). Le nom de cette forme d’entérotoxémie vient des lésions caractéristiques des reins qui ont une consistance molle particulière. Dans les autres formes les lésions digestives dominent avec en particulier une très forte congestion des intestins
L’entérotoxémie du mouton adulte (à partir de 6 mois) ressemble à la précédente avec des lésions similaires.
D’autres pathologies sont provoquées par d’autres clostridies :
- les gastroxémies (Clostridium septicum) apparaissent suite à la consommation d’herbe gelée par des animaux de 6 à 18 mois ; les animaux peuvent présenter de fortes douleurs abdominales ; la caillette présente des lésons de nécrose.
- L’hépatite infectieuse nécrosante (Clostridium oedematiens ou novyi) est rencontré chez des animaux de plus d’un an suite à une infestation massive par des douves ; les clostridies se développent en particulier le long des trajets de migration dans le foie ; celui-ci présente de nombreuses lésions nécrotiques et la carcasse a un aspect hémorragique.
- L’hémoglobinurie bacillaire (Clostridium haemolyticum) est favorisée également par le parasitisme hépatique ; elle se manifeste par une anémie puis un ictère (coloration jaune) et enfin l’apparition de sang dans les urines qui deviennent rouge-brun.
Dans les trois cas la mort survient rapidement.
Le diagnostic de ces « entérotoxémies » se fait le plus souvent après autopsie par l’observation des lésions. Pour confirmer le rôle des clostridies, on peut avoir recours au laboratoire pour identifier les bactéries mais il faudra également les dénombrer.
On considère qu’il y a eu multiplication anormale si on atteint 107 à 109 clostridies par gramme de fèces (104 normalement) avec une diminution de la population de colibacilles.
Compte-tenu de l’efficacité redoutable des toxines clostridiennes et de la rapidité d’évolution des symptômes, les traitements sont presque toujours illusoires. On peut éventuellement essayer une métaphylaxie avec des bétalactamines pour stopper des mortalités chez les très jeunes agneaux. Le retrait de l’aliment en cause quand il est identifié ne donne pas un résultat immédiat.
La prévention reste le meilleur outil.
Elle passe dans un premier temps par la maîtrise de l’alimentation (transitions progressives avec concentrés ou pâtures luxuriantes) et du parasitisme digestif (coccidiose, strongyloses, douves) pour éviter tout déséquilibre de la flore du tube digestif.
Le deuxième temps de la prévention qui est la vaccination ne fonctionnera que si les erreurs majeures de rationnement et de traitement anti-parasitaire sont évitées. Cette vaccination se fera avec un des vaccins anticlostridien multivalents.
Les vaccins contre les clostridioses
Comme nous l’avons vu, les clostridioses résultent souvent de l’association de plusieurs Clostridium. De plus, la mise en évidence et l’identification de la clostridie responsable n’est pas toujours possible.
Les vaccins ciblent donc les clostridies (et leurs toxines) les plus fréquemment rencontrées. Certains comprennent huit valences avec comme différence les valences Cl. Perfringens A et Cl. Sordellii. D’autres vaccins comprennent les dix valences incluant à la fois Cl. Perfringens A et cl. Sordellii.
Ces derniers sont à utiliser en priorité si les clostridies en cause n’ont pas été identifiées.
Les protocoles :
- Si on veut protéger les mères autour de l’agnelage et les agneaux dans le premier mois de vie, il faut vacciner les mères en fin de gestation.
- Si on veut seulement protéger les agneaux, on peut les vacciner à partir l’âge de quinze jours environ.
- On peut également vacciner des agneaux dont les mères l’ont été mais il faudra bien leur appliquer le protocole d’une PRIMO-VACCINATION si on veut que la protection soit maximale et durable (au moins six mois), en particulier quand il s’agit des agnelles de renouvellement.
Pour tous les vaccins contre les clostridioses, la primo-vaccination (première fois) comporte deux injections à 4/6 semaines d’intervalle, la deuxième devant être pratiquée au plus tard quinze jours avant la date prévue de l’agnelage pour les brebis en fin de gestation. Le rappel peut se faire entre six mois (si risque très important) et au plus tard un an après la deuxième injection de primo.
Comme pour tout vaccin, la protection ne sera pas de 100%, la réaction vaccinale étant variable d’un individu à l’autre. Il ne sera efficace que si les risques majeurs sont identifiés et au moins en partie maîtrisés.