- Par Laurent Saboureau
Myiases à Wohlfahrtia Résultats d’essais pour le traitement et la prévention chez les ovins
Par deux fois dans cette revue (N° 868 de Juillet 2016 et N° 879 de Juillet 2017), nous avons présenté les atteintes des ovins par Wohlfahrtia magnifica apparues dans la zone d’élevage du Centre-Ouest de la France (photos 1, 2 et 3). D’évolution centrifuge à partir d’un épicentre composé de trois communes du sud de la Vienne en 2012, la zone de contamination recouvre en 2017 le sud-est de la Vienne, le nord-est de la Charente et le nord-ouest de la Haute-Vienne, soit une zone d’environ 70 km de rayon (figure 1).
La période d’apparition dans les élevages, réduite depuis 2012 à une plage allant de juillet à septembre, s’est allongée jusqu’à fin octobre en 2016 et 2017, probablement en raison d’étés relativement secs ces deux dernières années. L’année 2017 a même vu l’apparition de cas dès la fin mai, là encore probablement liée à un printemps anormalement sec. Une enquête déclarative menée par les Groupements de Défense Sanitaire des départements concernés montrait en 2016 que près d’un élevage sur deux était touché dans la zone de contamination. Dans cette même enquête, 33% des éleveurs qui se déclaraient atteints évaluaient la prévalence de la maladie entre 11 et 20% de leur troupeau, 28% l’évaluant entre 21 et 40% !
Face à cette épizootie, les professionnels de l’élevage et de la santé de la zone ont décidé d’unir leurs efforts en travaillant en commun et en partageant leurs informations au sein du Comité de Pilotage (COPIL) Wohlfahrtia. C’est dans le cadre de ce COPIL que le Pôle Santé Animale de l’Alliance Pastorale a procédé à des essais afin de mesurer l’efficacité de plusieurs méthodes de traitement et de prévention.
MISE EN PLACE DES ESSAIS
Traitement
Nous avons souhaité tester la deltaméthrine en raison de l’existence sur le marché de deux spécialités ayant une AMM pour le traitement des myiases cutanées (DELTANIL® et SPOTINOR®). Dans trois élevages différents, 73 brebis atteintes de myiases à Wohlfahrtia ont donc été traitées par application directe de 5 ml de solution de deltaméthrine sur chaque plaie et ses larves. La vérification de l’efficacité du traitement est réalisée 24 heures après l’application du produit.
Prévention
Le dicyclanil (CLIK®) est largement utilisé dans les élevages ovins de la région pour la prévention des myiases à Lucillia. Concernant Wohlfahrtia, les résultats décrits sont très variables d’un élevage à un autre, mais en général plutôt décevants, alors que ce médicament possède bien dans son Autorisation de Mise sur le Marché une indication de prévention des myiases à Wohlfahrtia et que plusieurs auteurs décrivent des rémanences au-delà de vingt semaines après application. Ces résultats variables pourraient s’expliquer en partie par une prédominance des atteintes des zones délainées avec Wohlfahrtia (alors que le dicylanil, très lipophile, se fixe principalement au suint de la laine), mais également par les utilisations en sous-dosage (généralement demi-dose) du médicament observées fréquemment dans les élevages de la région, ou encore par des méthodes d’application ne respectant pas les préconisations de l’AMM.
Des publications, complétées d’observations et d’essais terrain réalisés ces dernières années, montrent un certain effet préventif de supplémentations minérales enrichies en ail et distribuées en libre-service. Ces essais ont également permis de déterminer la concentration nécessaire en extraits végétaux d’ail pour obtenir une protection. De même, des bains de pied (pédiluves) réalisés régulièrement, et quelle que soit la molécule insecticide utilisée (deltaméthrine, phoxime, dimpylate) ont révélé une certaine efficacité. Cependant, aucune de ces préventions mises en place individuellement ne permet de garantir une protection complète durant toute la période à risque pour les myiases. Ainsi, l’association de ces méthodes nous a paru intéressante à tester afin de vérifier si elle permet d’améliorer la protection.
Quatre lots d’environ 100 brebis ont été retenus comme support de notre essai, dans un élevage touché chaque année par Wohlfahrtia depuis 2012, et ayant par ailleurs éliminé les infections du pied observées depuis plusieurs années par un plan de lutte incluant la vaccination contre le piétin.
L’essai débute le 20 juin 2017, avec des lots répartis ainsi :
- Lot 1 (99 brebis) :
témoin ne faisant l’objet d’aucun traitement ni aucune intervention,
- Lot 2 (102 brebis) :
prévention par application de dicyclanil, appliqué à la dose de l’AMM, sur des brebis serrées dans un parc de contention ; la préconisation de répartir la dose à part égale entre la ligne du dos et autour de la queue est respectée, tout comme la distance d’application à environ 45 cm du corps des animaux pour obtenir une bande de produit de 10 cm de large (photo 4),
- Lot 3 (100 brebis) :
idem lot 2 + supplémentation minérale libre-service enrichie en extraits d’ail ; une concentration optimale en extraits d’ail a été définie à la suite de plusieurs essais menés en 2016 et les seaux minéraux seront à la disposition des animaux durant tout l’essai,
- Lot 4 (101 brebis) :
idem lot 3 + pédiluve insecticide de dimpylate (DIMPYGAL® à la dose bain de l’AMM, soit 100 ml / 40 litres d’eau) avec passage des animaux tous les 15 jours.
Les lots sont conduits sur des parcelles voisines et contigües. L’essai se déroule sur 14 semaines, toutes les brebis étant rentrées en bergerie après ce délai et donc soustraites au risque puisque les pontes larvaires de Wohlfahrtia sur les ovins n’ont à ce jour été détectées qu’en extérieur dans la région.
RÉSULTATS
Localisation des myiases
Les cas de myiases constatés dans les différents élevages supports des essais sont majoritairement retrouvés dans l’espace interdigité (figure 2). La répartition entre les cas localisés aux pieds avant et ceux des pieds arrière est équilibrée. La seconde localisation préférentielle est la vulve, ces deux localisations regroupant 87% des cas. Le conduit auditif constitue la troisième localisation.
Le nombre de larves retrouvées dans chaque plaie est important : plus des trois quarts des plaies renferment entre 10 et 30 larves, et 16% plus de 30 (figure 3). Cette situation explique que certains éleveurs appliquent un curetage d’une partie des larves les plus superficielles avant d’appliquer le produit de traitement.
Traitement
Dans 91% des cas, le résultat du traitement est considéré comme positif, c’est-à-dire qu’on ne retrouve pas de larves visibles au niveau de la plaie 24 heures après l’application de 5 ml de la solution de deltaméthrine. Dans les autres cas (9%), exclusivement localisés au niveau des pieds, des larves sont retrouvées au fond des cavités creusées dans les chairs.
Lorsque le résultat est considéré comme positif, on observe une rechute dans 12% des cas. Cette rechute apparaît entre 7 et 17 jours après le traitement, systématiquement sur la même localisation corporelle. De ce fait, il est probable qu’il s’agisse de larves au stade 1 qui n’ont pas été détectées lors du contrôle 24 heures après le traitement et qui occasionnent à nouveau des dégradations tissulaires après leur mue aux stades 2 et 3. On ne peut cependant pas exclure l’hypothèse d’une récidive consécutive à une nouvelle ponte de larves sur une plaie non cicatrisée. Les rechutes sont plus nombreuses au niveau du conduit auditif (30%) et du pied (12%) qu’au niveau de la vulve (5%). Il est à noter que le curetage préalable avant traitement ne diminue pas le taux de rechutes. Il est en effet suivi de 13% de rechutes contre 8% pour les plaies non curetées.
Prévention
Les premières atteintes apparaissent sur le lot témoin dans les jours qui suivent le début du traitement, ce qui confirme que l’élevage est bien sujet à ce type de myiases (figure 4). Elles s’enchainent ensuite régulièrement tout au long de l’essai, montrant que l’élevage est bien soumis en permanence à la pression parasitaire de Wohlfahrtia.
Sur les lots traités, les premiers cas n’apparaissent qu’après 6 semaines sur le lot 4 (2 cas) et 7 semaines sur les lots 2 (4 cas) et 3 (3 cas). Les prévalences sont les suivantes pour les 4 lots :
- 6 semaines après le début de l’essai : lot 1 : 12%, lots 2 : 0%, lot 3 : 0%, lot 4 : 2%
- 7 semaines après le début de l’essai : lot 1 : 14,1%, lot 2 : 5,9%, lot 3 : 3%, lot 4 : 2%
Sur le lot 2, les cas apparaissent ensuite régulièrement montrant que la protection procurée par le dicyclanil a cessé. Au cours de la neuvième semaine particulièrement, 8 nouvelles brebis sont touchées. Cette semaine correspond au retrait des éponges sur ce lot, et confirme le facteur favorisant que constituent les écoulements vulvaires qui apparaissent lors de cette manipulation.
Pour les lots 3 et 4, les courbes de prévalence présentent un plateau au-delà de la neuvième semaine, traduisant l’absence de nouveau cas sur ces lots, alors qu’ils apparaissent régulièrement sur cette période sur le lot 2. De la sixième à la neuvième semaine, l’éleveur a noté une forte réduction de la consommation des minéraux enrichis en ail, à une période qui présente une forte sécheresse. Ce constat est en conformité avec ce qui est observé habituellement avec l’ensemble des minéraux à lécher dans ces conditions météorologiques.
En fin d’essai, les prévalences enregistrées sont de 29,2% sur le lot 1, 24,5% sur le lot 2, 11% sur le lot 3 et 8,9% sur le lot 4. Ces différences de prévalence entre le lot 1 et les lots 3 et 4 et entre le lot 2 et le lot 4 sont statistiquement significatives selon le test de Tukey.
PRECONISATIONS
La prépondérance dans notre région des cas de myiases à Wohlfahrtia magnifica dans l’espace interdigité est vraisemblablement à rapprocher de l’importance quantitative des affections du pied qui sont rencontrées. Ces affections constituent un facteur favorisant important, comme toutes les sources d’humidité ou d’écoulement (lors du retrait des éponges, sur les plaies…). Leur maîtrise est donc le premier facteur de prévention des myiases (protocole de lutte contre les affections du pied, désinfection et cicatrisation des plaies, assèchement du cordon ombilical, rentrée des brebis au retrait des éponges). La coupe de queue mi-longue est aussi décrite comme un facteur de protection, comparée à une coupe plus courte.
Le dicyclanil a permis dans notre essai une protection des animaux pendant 7 semaines. Au-delà, sa seule utilisation ne permet pas d’empêcher l’apparition des cas, à un rythme similaire avec ce qui est observé dans le lot témoin. Cette durée de protection est inférieure à celle présentée dans l’AMM du médicament ou dans des essais menés dans d’autres pays. D’après nos recherches, il est possible que la “stop-dose” à 35 ml proposée dans l’AMM pour des brebis de plus de 50 kg puisse être une des explications de ce constat. De l’avis de certains auteurs des essais réalisés à l’étranger, les brebis traitées excédaient effectivement rarement ce poids (SOTIRAKI S., communication personnelle), alors que les brebis de notre essai étaient toutes largement plus lourdes (60 à 80 kg). Une dose respectant la posologie de 0,6 ml/kg de poids vif permettrait peut-être un allongement de la durée de protection ; cette réflexion actuelle nous conduira à de nouveaux essais dans ce sens courant 2018. Ils pourront également nous permettre de tester des zones d’application sur le corps plus en rapport avec les locations des myiases à Wohlfahrtia, comme l’arrière des postérieurs.
La durée de protection observée de 7 semaines reste plus longue que celle décrite dans des essais réalisés avec un pyréthroïde en pour on (cyperméthrine) ou une lactone macrocyclique injectable (doramectine). Nos propres essais réalisés avec la deltaméthrine n’ont également permis une protection des brebis que sur période beaucoup plus courte.
Dans notre essai, l’ajout à l’application du dicyclanil d’une complémentation minéral libre-service enrichie en extraits végétaux d’ail fait sensiblement baisser la prévalence des cas de myiases. L’association supplémentaire d’un pédiluve insecticide toutes les deux semaines améliore encore un peu plus la situation (différence de prévalence significative entre le lot 4 et les lots 1 et 2). Concernant la supplémentation en ail via les seaux minéraux, on constate que la limite de la technique réside dans le niveau de consommation de ceux-ci. En période de sécheresse, cette consommation chute et la protection procurée diminue. Il est donc nécessaire d’essayer de limiter cette chute en fragmentant les blocs et en les humidifiant.
En traitement, la deltaméthrine utilisée sous forme d’une solution médicamenteuse et selon les préconisations de son AMM (5 ml appliqués directement sur les larves) a montré une réelle efficacité. Ces résultats sont supérieurs à ceux décrits pour des traitements avec l’ivermectine et la moxidectine. Pour éviter les rechutes, on conseille un contrôle de la plaie 24 heures après le traitement, si nécessaire un retrait manuel à la pince des larves restées au fond des cavités, puis l’application d’une préparation facilitant la désinfection et la cicatrisation (HOOF FIT REPIDERMA ou PHYT-AP POMMADE).
CONCLUSION
Face à l’émergence et le développement depuis six ans des cas de myiases à Wohlfahrtia magnifica, l’inquiétude des éleveurs reste légitimement importante, en raison de la morbidité élevée occasionnée par ces infestations et le temps imparti pour débarrasser les ovins de ces larves. Les essais conduits permettent aujourd’hui de quantifier l’efficacité des techniques et des produits disponibles. S’ils ont démontré l’efficacité du traitement, ils doivent désormais être complétés pour affiner la meilleure stratégie de prévention sur toute la période à risque de myiases. Il est également important d’essayer de trouver dans les élevages peu touchés de la zone des facteurs éventuels de protection naturelle, qu’ils résident dans la structure de l’exploitation ou dans la conduite d’élevage. C’est l’objet de l’étude épidémiologique menée actuellement dans le cadre du COPIL Wohlfahrtia. En attendant ces résultats, un plan collectif de lutte reprenant les préconisations issues des essais présentés est proposé aux éleveurs pour 2018, afin de limiter les cas cliniques et ralentir l’extension géographique de Wohlfahrtia magnifica.