- Par Laurent Saboureau
Raticides : Intérêts d’un appât bi-molécule
La société IZInovation a étudié l’action du rodonticide Muskil de ZAPI, commercialisé par l’Alliance Pastorale, pour en comprendre les bénéfices. Voici les conclusions du Dr Romain Lasseur, son directeur, par ailleurs vétérinaire et expert international sur les espèces envahissantes.
La lutte contre les rongeurs constitue un enjeu majeur de santé publique. Le contrôle de ces mammifères est donc indispensable pour prévenir la transmission des maladies qu’ils transportent. A ce titre, la régulation des rongeurs trouve tout son sens en milieu urbain, là où l’interaction avec l’Homme est la plus importante. D’autant que les rongeurs commensaux, dont le principal représentant est le rat brun (Rattus norvegicus), vivent directement dans l’environnement de l’Homme et consomment la même nourriture que nous, ainsi que nos déchets, si ces derniers sont mal gérés.
Les anticoagulants, de leurs débuts à nos jours
Une haute efficacité dans la régulation du rat brun (mais aussi de la souris et du rat noir) est permise par l’utilisation d’appâts contenant des anticoagulants, car ces molécules agissent de manière différée et ainsi contournent la méfiance des rongeurs.
La première génération d’anticoagulants (coumafène, chlorophacinone et coumatétralyl) a connu un essor rapide dans son utilisation à partir de 1940, un peu partout dans le monde, car cette époque correspond à la mise en place des mesures d’hygiène et de santé publique dans la plupart des métropoles mondiales.
Cette utilisation massive, apportant de clairs bénéfices dans la régulation des rongeurs et des zoonoses (maladies transmises par les rongeurs à l’Homme), s’est vue freinée par le développement de phénomènes de résistance génétique chez le rat (mutations géographiques bien caractérisées à ce jour). Ont alors été développées des molécules de seconde génération, plus toxiques, dont certaines ne sont que partiellement affectées par la résistance (bromadiolone et/ou difénacoum), quand d’autres ne le sont pas du tout (flocoumafen, brodifacoum & diféthialone).
C’est l’intention qui compte !
Les anticoagulants ont la particularité de s’accumuler de manière stable dans le foie des rongeurs. Ce point devient important quand les cadavres de rongeurs ne sont pas collectés (inaccessibles, mort éloignée du lieu de traitement) et restent accessibles à des espèces prédatrices qui, à leur tour, succombent à ces anticoagulants.
Les anticoagulants sont et resteront une solution viable techniquement et économiquement pour la régulation des rongeurs, même si d’autres molécules non anticoagulantes sont développées. Néanmoins, l’enjeu posé aux anticoagulants pour l’avenir est important : être efficaces contre les rongeurs résistants, ne pas être trop toxiques (éviter le stockage trop long dans le foie) pour éviter les intoxications secondaires d’espèces non-ciblées, et enfin ne pas subir trop de pression règlementaire à l’échelle européenne (notamment au travers de l’interdiction de l’appâtage permanent).
Concernant ce dernier point règlementaire, il est considéré sur le plan européen qu’il est nécessaire d’utiliser en première intention un anticoagulant du groupe bromadiolone/difénacoum et en seconde intention (résistance, forte infestation) un anticoagulant du groupe brodifacoum/flocoumafen/diféthialone. En France, il n’est pas fait de distinction entre première et seconde intention, car tous ces anticoagulants ne sont utilisables qu’en présence avérée de rongeurs.
Une solution deux en un ?
Dans ce contexte, la société Zapi a développé un appât contenant 2 matières actives anticoagulantes (Muskil® : bromadiolone 25 ppm + difénacoum 25 ppm) en ayant pour objectif d’atteindre une efficacité similaire à un appât contenant 50 ppm d’un seul anticoagulant, tout en pouvant contourner la résistance à la bromadiolone ou au difenacoum par la présence des 2 molécules dans le même appât. Il nous a alors été demandé d’étudier le comportement de cet appât chez le rat et la souris pour en comprendre les bénéfices. Des essais ont donc été menés en février et mars 2020.
Un premier travail a tout d’abord été mené pour comprendre l’efficacité de cette solution sur différentes souches de rongeurs résistants (mutations dans le gène VKORC1). Les différentes expériences ont été menées par l’Université de Reading (UK) et par IZInovation (Fr).

Ces différents travaux montrent que la bromadiolone, le difénacoum et les 2 en mélange ne parviennent pas à contrôler des rats portant la mutation L120Q, très connue pour provoquer une très forte résistance sur le terrain (Tableau 1). Toutes les formulations fonctionnent bien sur les rats porteurs de la mutation Y139S. Il est intéressant de montrer que la formulation Muskil est efficace sur les souches de rats Y139F (surtout développées en France) et sur les souris Y139C alors qu’une formulation unique de bromadiolone n’est pas efficace. Le mélange présente ici un réel intérêt et c’est la première fois que ces observations sont réalisées avec le produit Muskil.
Un second axe de travail a consisté à mesurer le stockage de résidus d’anticoagulants dans le foie des rongeurs, pour comprendre le risque d’intoxication potentiel d’espèces non ciblées qui seraient amenées à consommer le cadavre, en comparaison avec des appâts contenant 50 ppm d’un seul anticoagulant et notamment la bromadiolone.
En effet, nous avons vu précédemment que les anticoagulants stockés dans le foie du rongeur sont très stables et peuvent donc être transférés presqu’intégralement au prédateur qui capture le rongeur ou son cadavre. Pour une efficacité équivalente, il convient donc d’opter pour les appâts dont les anticoagulants se stockent en moindre quantité dans le foie, même si ce point n’évite pas toujours les intoxications secondaires, dans la mesure où les prédateurs consomment souvent plusieurs rongeurs de suite.
Chez le rat comme chez la souris, la charge totale en anticoagulant diminue avec Muskil vis-à-vis de la charge observée avec un appât contenant 50ppm de bromadiolone (Graphique 1 et Graphique 2).

Les conclusions
Ces différents travaux montrent que le mélange de 2 matières actives anticoagulantes dans le même appât (comme c’est le cas avec l’appât Muskil®) contenant 25 ppm de bromadiolone et 25 ppm de difenacoum présente l’intérêt d’être efficace contre des rongeurs résistants, là où la bromadiolone et des anticoagulants de première génération ne sont plus efficaces. De plus, l’utilisation de cette combinaison de deux matières actives permet de limiter la charge en anticoagulants dans le foie, ce qui est un point important pour prévenir les intoxications secondaires d’espèces non ciblées lors d’opérations de régulation des rongeurs, notamment en zone urbaine, mais aussi en milieu rural où la faune sauvage est plus abondante.
Article reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur, le Dr Romain LASSEUR (IZINOVATION) et de la société ZAPI. Extrait de Nuisibles et Parasites information – N°120 – p 30-31.