- Par Maya Diehl
Sarcosporidiose, une parasitose fréquente mais méconnue
Suite à l’appel au Pôle Santé Animale de l’Alliance d’un éleveur concernant la saisie d’une carcasse d’ovin pour sarcosporidiose, revenons ici sur cette parasitose : il s’agit du genre Sarcocystis appartenant au groupe des coccidies formatrices de kystes, dont font également partie Toxoplasma gondii ou le genre Neospora.
Le parasite développe un cycle plutôt très spécifique entre un hôte définitif dans lequel intervient la phase de reproduction sexuée, et un hôte intermédiaire où se déroule la phase de multiplication asexuée.
Exemple d’espèces et d’hôtes :
- Ovins :
- Sarcocystis tenella et S. arieticanis avec les canidés comme hôte définitif, les deux espèces considérées comme pathogène pour le mouton
- S. gigantea et S. medusiformis avec le chat comme hôte définitif sont considérées comme non pathogènes.
- Bovins :
- Sarcocystis cruzi avec les canidés comme hôte définitif, considérée comme la plus pathogène
- S. hominis avec l’homme comme hôte définitif,
- S. hirsuta avec le chat comme hôte définitif. 90 à 100% des bovins sont porteurs de sarcosporidiose, en général de façon asymptomatique.
- Caprins :
- Sarcocystis capracanis
- S. hirsicanis avec les canidés comme hôte définitif / S. moulei.
- Porc :
- Sarcocystis suihominis avec l’homme comme hôte définitif.
- Camélidés :
- Sarcocystis camelicanis chez le dromadaire.
NB. Les espèces ayant pour hôtes définitifs chiens et chats ne sont pas à risque de zoonose pour l’homme.
Cycle
Chez l’hôte intermédiaire
(notamment herbivores) : reproduction asexuée.
La contamination de l’environnement se produit par l’excrétion fécale des hôtes définitifs : l’ingestion des ookystes (forme de résistance dans le milieu extérieur) du parasite par les hôtes intermédiaires se fait par l’alimentation, l’abreuvement ou lors de coprophagie.
Dans l’hôte intermédiaire, les sporocystes contenus dans les ookystes vont libérer des sporozoïtes qui traversent la paroi intestinale et se disséminent dans l’organisme par la voie sanguine et lymphatique : le parasite rentre dans les cellules pour se diviser et former des kystes dans les tissus (forme d’attente dans l’hôte intermédiaire). Il se produit d’abord deux stades de multiplication asexuée des tachyzoïtes dans l’endothélium des vaisseaux sanguins par formation de pseudokystes, puis passage principalement dans le tissu musculaire via les monocytes avec formation des sarcocystes. Il peut rarement y avoir passage dans le tissu nerveux.
La durée du cycle de l’ingestion des ookystes à la présence des sarcocystes dans le tissu musculaire est de 45 à 65 jours.
- Chez l’hôte définitif
(en général prédateurs, homme) : reproduction sexuée.
L’hôte s’infeste par consommation de viande crue ou cuite insuffisamment. Les bradyzoïtes issus de l’ingestion de muscle contaminé pénètrent dans les cellules à mucus de l’intestin grêle et y forment les ookystes contenant le stade infectieux pour l’hôte intermédiaire (ookyste = forme de résistance dans l’environnement, contenant 2 sporocystes avec chacun 4 sporozoïtes).
L’excrétion dans les matières fécales débute de 7 à 14 jours après ingestion et dure pendant 2 à 3 mois.
Les kystes présents dans les fibres musculaires sont détruits par une cuisson à cœur, à température entre 56 et 75°C pendant 20 à 25 minutes et également par une congélation à cœur, à -5°C pendant 48 heures ou -20°C pendant 24 heures.
Par contre, ces mêmes kystes résistent aux microondes !
Les ookystes, forme de résistance dans l’environnement, sont plus résistants en milieu humide par rapport aux milieux secs. Ils peuvent survivre jusqu’à une année en zone humide d’où un risque accru de présence du parasite en zone inondable par contamination fécale !
Symptômes
- Hôtes intermédiaires :
En général, les hôtes intermédiaires ne présentent pas de signes cliniques lors d’infestation faible à modérée. Il peut y avoir des troubles liés aux muscles touchés, comme une atrophie musculaire ou une difficulté de mastication lorsque les muscles masséters sont touchés.
Il y a persistance des kystes musculaires pendant 3 mois à un an.
En cas d’infestation massive (notamment lors d’infestation expérimentale), peuvent survenir des symptômes tels que fièvre, anémie, anorexie, amaigrissement, alopécie de l’arrière-train (perte de poils), avortement et mortinatalité. Des symptômes neurologiques peuvent également être présents en cas d’encéphalomyélite, comme faiblesse musculaire, parésie des postérieurs, ataxie.
Chez la brebis, il peut y avoir perte de la laine après un épisode massif. La sarcosporidiose fait également partie du syndrome « brebis maigre ».
Une forme aiguë peut mener à la mort : très rare, il s’agit en général d’animaux naïfs (n’ayant jamais eu de contact avec le parasite) ingérant des quantités massives d’ookystes, par exemple pour les bovins une dose de 50000 à 200000 ookystes de Sarcocystis cruzi.
- Hôtes définitifs :
De même, l’infestation est le plus souvent inapparente chez l’hôte définitif.
En cas d’infestation massive, un syndrome toxinique peut survenir jusqu’à 36 heures après ingestion, avec nausées, anorexie, douleur abdominale et diarrhée. Une diarrhée sans fièvre peut apparaître 10 à 15 jours après ingestion et perdurer 8 à 10 jours, voire rarement aller jusqu’à une entérite nécrosante.
NB. Le risque de sarcosporidiose est rare chez l’homme lors de consommation de viande ovine car elle est généralement consommée bien cuite. Elle peut toutefois générer myosite ou avortement à répétition.
Myosite éosinophilique
Il s’agit du risque économique majeur lié à la sarcosporidiose : en effet, les kystes présents habituellement dans les muscles sont microscopiques et ne conduisent pas à une saisie de la carcasse atteinte. Toutefois, un kyste sur 1000 est susceptible de conduire à une réaction inflammatoire débouchant sur une saisie.
La myosite éosinophilique liée à Sarcocystis spp est une inflammation musculaire provoquant une lésion de quelques millimètres à quelques centimètres, en points ou en plages, de couleur verdâtre : elle est asymptomatique et découverte lors de l’abattage. C’est un motif de saisie indemnisé par certains GDS ainsi que certains FAR (fond d’assainissement régional).
La myosite éosinophilique chez les bovins conduit à plusieurs millions de perte annuelle en France. Des recherches sont menées pour trouver les facteurs de risque et les parades limitant le risque.
On peut noter ainsi :
- La prédisposition de certaines races comme la Blonde d’Aquitaine et la Parthenaise à être atteinte par une myosite éosinophilique.
- La prédisposition des femelles par rapport aux mâles.
- La présence d’un facteur génétique : en effet, certains taureaux présentent une descendance de femelle à prévalence élevée.
- L’âge du bovin : plus il est âgé lors de l’abattage, plus il y a de risque de myosite (exposition prolongée au parasite).
- La présence en bâtiment : il semble que plus les bovins passent de temps en intérieur après exposition au parasite à l’extérieur, plus le risque de déclencher une myosite est élevée.
Les hypothèses d’apparition de myosite éosinophilique sont donc d’ordre génétique, racial ainsi que liées à l’effet dose (nombre de parasites ingérés), l’exposition répétée au parasite, ainsi que toute stimulation accrue du système immunitaire.
Diagnostic
La symptomatique n’est pas typique. Le diagnostic peut s’effectuer :
- Par la mise en évidence de mérozoïtes dans le sang ou les monocytes de l’hôte intermédiaire.
- Par ELISA : recherche d’anticorps spécifiques dirigés contre les mérozoïtes.
- Sur autopsie ou lors de l’abattage : hormis la présence des kystes, les lésions ne sont pas typiques.
- ELISA sur histologie : étude de la présence du parasite par réaction d’anticorps sur des coupes de tissu musculaire au microscope.
- Par microscopie optique et électronique : identification possible de l’espèce de Sarcocystis en cause.
- PCR : mise en évidence du parasite lui-même par identification de séquences d’ADN.
Diagnostic lésionnel différentiel : toxoplasmose, cysticercose (Taenia spp), trichinellose.
Traitement
Compte tenu du fait que la sarcosproridiose est en général asymptomatique, elle n’est en général pas traitée.
Un traitement peut toutefois être tenté chez les bovins en cas de sarcosporidiose aigüe : par exemple halofuginone à raison de 1,5 mg par kg poids vif par jour pendant 2 jours, ou toltrazuril à raison de 10 mg par kg et par jour pendant 3 jours.
Prévention
- Limiter le contact entre hôtes intermédiaires et matières fécales des hôtes définitifs.
- Limiter l’abreuvement aux cours d’eau notamment si présence de rejet de station d’épuration en amont.
- Limiter si possible le pâturage des zones inondables surtout si présence proche de rejet d’eaux usées ou de station d’épuration : risque de contamination du sol en cas d’inondation dans l’année par des eaux à risque.
- Eliminer les cadavres pour couper le cycle de transmission aux carnivores domestiques.
- Consommer la viande bien cuite ou une viande préalablement congelée avant préparation : cela est particulièrement important dans le cadre d’une exploitation touchée par la sarcosporidiose avec consommation par l’éleveur de viande de ses propres animaux de rente, afin de couper le cycle du parasite.
- Donner aux carnivores domestiques uniquement de la viande cuite à cœur ou congelée au préalable suffisamment longtemps.
- Lutter contre les mouches : une transmission mécanique par la mouche domestique (Musca domestica) a été mise en évidence expérimentalement.
Pour aller plus loin en bibliographie sur bovin :
Drouet, Marie (septembre 2018) : « Sarcosporidiose et myosite éosinophilique : approche multifactorielle pour réduire l’impact économique des saisies en abattoir ». Institut de l’Élevage Idele.
Lemieux, D. (2014) : « Myosite éosinophilique et sarcosporidiose bovine : étude ciblée chez la Blonde d’Aquitaine ». Thèse de doctorat vétérinaire, Faculté de Médecine de Nantes. Oniris : Ecole Nationale Vétérinaire, Agroalimentaire et de l’Alimentation Nantes Atlantique. 140 p.